Une forme prêtant à confusion
Le conditionnel passé 2e forme doit en principe être ancré dans une énonciation de récit au passé simple, ce qui le réserve à la langue écrite, et même là, plutôt au style soutenu. En français moderne, même à l’écrit, il peut toujours être remplacé par un conditionnel passé 1e forme, et l’usage trop fréquent du conditionnel passé 2e forme dans un roman moderne paraitrait affecté. C’est pourtant cette caractéristique de temps typique du « beau langage » qui explique que le conditionnel passé 2eforme soit d’un emploi relativement fréquent même dans la langue courante : des usagers de la langue s’en servent, consciemment ou inconsciemment, par recherche d’« élégance ». Ce phénomène ressortit aux mécanismes de l’hypercorrection (p. 583), car pour la majorité des francophones, les règles d’emploi du conditionnel passé 2e forme sont devenues opaques. On trouve ainsi de nombreuses occurrences de ce temps, là où un conditionnel passé 1e forme aurait amplement suffi :
Cinq millions d’euros qu’on eût pu dépenser autrement [titre d’article de blog].
Un éducateur sportif de la mairie tenait un stand centré sur les règles de sécurité dans le sport. [...] la panoplie était des plus complètes, même s’il on [sic !] eût souhaité évidemment qu’il y eût davantage de travaux pratiques dans certains environnements comme celui de la piscine.
Un éducateur sportif de la mairie tenait un stand centré sur les règles de sécurité dans le sport. [...] la panoplie était des plus complètes, même s’il on [sic !] eût souhaité évidemment qu’il y eût davantage de travaux pratiques dans certains environnements comme celui de la piscine.
Comme on le voit, l’auteur de ce billet tiré d’un journal gratuit de Seine-et-Marne ne maitrise pas plus les nuances récit-discours que la syntaxe des pronoms. La forme *même s’il on eût doit évidemment être écrite même si l’on eût. L’emploi du subjonctif imparfait dans la subordonnée (qu’il y eût) détonne également dans ce bulletin d’information communal. Ce genre de langue affectée est très typique de la presse écrite, qu’elle soit locale ou nationale.
Pour la même raison de recherche d’élégance, et bien que ce soit un temps plutôt typique de la langue écrite, le conditionnel passé 2e forme est assez fréquemment utilisé à l’oral :
Le secrétaire d’État aux Transports Dominique Bussereau juge sur RTL que le fait que les débris retrouvés par l’armée brésilienne ne soient pas ceux de l’A330 est une « mauvaise nouvelle évidemment, car on eût préféré que cela vienne de l’avion et qu’on ait des informations ». [Le Point en ligne, juin 2009]
Dans cet exemple, aucune règle grammaticale ne vient justifier l’emploi de la forme eût préféré à la place de aurait préféré. En outre, il aurait fallu alors appliquer la concordance des temps et mettre le verbe venir au subjonctif imparfait (on eût préféré que cela vînt), ce qui semblait décidément trop archaïque, même pour le secrétaire d’État aux Transports.
Du fait de son opacité (voir ci-dessus), à l’oral le conditionnel passé 2e forme est en train de subir une sorte de procédé de figement : il s’emploie notamment fréquemment avec le verbe pouvoir ousouhaiter, et on peut presque dire que les expressions on eût pu + infinitif ou on eût souhaité... sont en passe de devenir des locutions, dans laquelle la valeur temporelle particulière de ce temps (expression de l’antériorité de la condition par rapport à un verbe passé, dans le récit) est devenue obscure pour la majorité des usagers.
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